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La Tortue
Pendant les évènements de mai 68 Jean-Louis, qui venait de
terminer ses classes, fut affecté au 76ème Bataillon
d’Infanterie de Vincennes. Il se trouva consigné lors de la
révolte étudiante pour monter la garde à l’Ecole Militaire
de Paris, et, pour les grèves ouvrières où il fut de corvée
de poubelles. Moi, étant de l’équipe de jour, je fus de
corvée de marche à pied, le matin de très bonne heure, pour
être à l’hôpital Hérold à 6h30. J’étais déjà épuisée avant
ma journée de travail.
Je peux dire que nous n’étions pas en totale osmose avec
tous ces frondeurs, notre situation ne s’y prêtant pas tout
à fait, et puis, venant de faire notre propre révolution
familiale, nous n’étions pas aptes à faire une révolte
sociale. Nous avons tout de même profité…je dois le
reconnaître, des bienfaits obtenus par ces revendications.
Ayant réussi «la méthode menace» avec mon géniteur, afin de
ne plus vivre aucune situation équivoque avec lui, mais
subissant la crise du logement, nous avons habité avant et
après notre mariage, (le 29 juillet 68), tantôt chez mon
père, tantôt chez les parents de Jean-Louis et tantôt à
l’hôtel, sans que ça n’aille pour autant. Notre propre nid,
un petit studio en location à Aubervilliers, nous ne l’avons
eu qu’en octobre 69. Ce fut vraiment une libération.
En avril 70 j’obtins mon CAP d’aide-soignante, ce qui me
permit d’acquérir un peu plus d’assurance en moi, d’être
moins complexée. Mon frère, lui, était retourné dans la
restauration, comme serveur, où il gagnait bien sa vie.
En 1971 j’ai eu un comportement étrange, qui aurait pu se
révéler dramatique, mais qui, au contraire, m’a aidé à me
construire un peu plus. J’étais seule dans notre petit
studio, je ne parvenais pas à faire la sieste, quand
m’apparut cet infernal fil blanc qui ne m’avait jamais
vraiment quitté ; seulement voilà ! Je ne l’avais jamais
ressenti aussi fort, aussi dangereux, aussi manipulateur.
J’étais terrorisée, il fallait que je lui échappe. Ma seule
issue, pour ne plus être seule avec lui : ouvrir la porte
fenêtre, atteindre le balcon et me jeter par la fenêtre.
Non ! Je décidai de résister, pensant avec justesse que je
pouvais atteindre la porte pour sortir de cet enfer. Cette
attitude me sauva la vie. Je fus dehors en moins de deux,
allant au devant de Jean-Louis qui rentrait de son travail.
Toute tremblante, je ne pouvais faire autrement que de lui
parler de ce monstre ! Il me rassura. Il semblait fier de
moi. J’avais eu un réflexe positif :
« J’admire ta réaction d’auto-défense, me dit-il. »
Je ne revis jamais le fil blanc.
Pauvre Jeannine. Elle s’était remariée et avait donné une
petite sœur à Nanou. Pauvre Nanou et pauvre petite sœur.
Au début des années 70, mon père était venu à Aubervilliers
pour m’apprendre une lugubre et tragique nouvelle :
« Jeannine a été assassinée par son mari, après qu’ils aient
eu une vive dispute. Il serait devenu très violent avec elle
et, il l’aurait étranglée. Je suis convoqué devant le
tribunal comme témoin. Mais témoin de quoi ?! Enfin, je vais
y aller, malgré que je sois fragile du cœur. »
Plus tard, il vint me chercher pour que nous rendions visite
à Nanou. Elle se trouvait, avec sa petite sœur, chez des
parents nourriciers qui souhaitaient l’adopter. Malgré cette
attention à son égard, j’avais de la peine pour elle.
En 1972, nous avons quitté le studio pour emménager dans un
beau trois pièces à Drancy, car j’étais enceinte de notre
fils Sylvain. Une grossesse désirée qui se passa bien,
quoique je ressente une grande fatigue juste avant mon congé
de maternité que j’attendais avec impatience. Lors d’une
visite prénatale, j’ai demandé à l’obstétricien de l’hôpital
Lariboisière un arrêt de travail avant la date légale :
« Je n’arrête pas les femmes fatiguées, mais les femmes
malades. »
Il me fallu un temps de réaction avant de me rendre chez le
médecin généraliste pour obtenir gain de cause. J’accouchai
prématurément au bout de huit mois de grossesse.
Si mon bébé, à sa naissance, était un peu vomisseur, il s’en
remit très vite.
Il en fut tout autrement pour moi. Une perte de sels
minéraux, la fatigue nerveuse et, la très grande anxiété que
j’éprouvais à l’idée de reprendre un travail, qui n’était
pas une vocation, me faisait ressentir un malaise
difficilement supportable. J’appréhendais aussi de «
trimbaler » mon bébé dans les transports en commun, dès
l’aube, pour le confier à la crèche de l’hôpital pendant mes
heures de travail. Quelques semaines après la reprise de mon
activité professionnelle, je dus recevoir un traitement pour
les nerfs, comme support, afin de dissimuler mes angoisses,
mais… il fallait que le masque, que je portais depuis
longtemps, tombe. Il fallait que dans ma vie sociale
j’arrête de faire semblant. Même si au pire j’avais dû faire
avec, faute de n’avoir eu aucune autre solution, tout cela
était terminé. Un facteur déclenchant allait m’obliger à
faire face à cette névrose qui, à la manière d’un gros
furoncle, ne demandait qu’à percer.
Je n’avais pas le remède pour maîtriser ce nouvel handicape
qui me découvrait un peu plus aux regards des autres.
J’éprouvais une incontournable culpabilité à l’égard de tous
ces enfants malades, pour lesquels j’aurais dû m’émouvoir
davantage, face à leur maladie, mais je n’avais pas eu cette
motivation envers eux. Il m’arrivait même d’envier des
collègues proches de la retraite, car je ressentais un
épuisement physique autant que moral.
Ma fierté en avait pris un sacré coup, le jour où j’avais
extériorisé mon mal être poussé par ce fatras ingéré et
contenu depuis tant d’années. Une hyperémotivité provoquée
par un état dépressif entraîna, chez moi, le début d’un
cercle vicieux. J’étais devenue totalement impressionnable.
Le moindre facteur, qui m’exposait un peu trop dans ma vie
professionnelle, engendrait chez moi d’intenses battements
de cœur, qui, eux, engendraient des tremblements de tous mes
membres ; mais, c’est surtout mes mains et mes avant-bras
qui tremblaient le plus. J’étais totalement détruite de
l’intérieur, pourtant c’est de l’extérieur que se
manifestait mon malaise sans que je puisse gérer cette
situation.
Quand on est bien considéré, le pire, c’est de perdre
l’estime des autres ; ces autres qui vous juge en fonction
de ce qu’ils voient : une personne « apparemment normale »
qui devient soudain quelqu’un ne correspondant plus aux
normes.
Je payais le prix de mon long, de mon très long silence.
C’est un traitement plus approprié qu’il me fallait prendre,
pour contenir cette hyperexcitabilité nerveuse, afin de
pouvoir continuer mon travail. Cette peur d’autrui, apte à «
me prendre en faute », face à mon étrange comportement, me
torturait l’esprit et déclenchait chez moi une anxiété
pathologique qui elle, déclenchait mes tremblements.
La peur d’avoir peur me faisait perdre pied et m’entraînait
un peu plus, vers le fond, dans une spirale infernale.
Je fus mise en contact avec une psychiatre.
J’appréciais beaucoup cette femme qui ne semblait pas, du
tout, me prendre pour une extra- terrestre.
Si je lui parlai de mon enfance tourmentée, je n’osai pas,
cependant, lui dévoiler la dépravation du père Betton ; le
reste de son néfaste comportement suffisait, me
paraissait-il, à me donner cette tendance névrotique.
Un traitement plus approprié me permit de tenir le coup
pendant mes heures de travail. À la maison, étant dans mon
petit cocon, j’allais bien.
Quelques mois après la naissance de Sylvain nous avions
obtenu le logement H.L.M. pour lequel on avait fait une
demande : un trois pièces, dans une petite tour récemment
construite, à l’Ile Saint-Denis, avec un loyer beaucoup plus
modéré que le précédent appartement.
Si mon traitement me donnait la capacité de pouvoir
continuer à travailler et si ce beau cadre de vie aurait dû
alléger mon anxiété, et bien, je restais le plus souvent
mélancolique, même chez moi. Dans mon couple ça battait de
l’aile.
C’est seulement au début de l’été 1975, qu’un regain
amoureux vint revigorer un lien en perte de vitesse. C’est à
cette époque que mon mari et moi avons eu, de nouveau, des
regards amoureux l’un pour l’autre et, l’envie d’avoir un
deuxième enfant.
A l’hôpital Hérold j’avais appris par une collègue avec
laquelle je m’entendais bien et à qui je m’étais un peu
confié que, travaillant en salle, ayant un premier enfant et
en voulant un deuxième, j’avais la possibilité de travailler
à mi-temps. Je ne voulais pas me retrouver dans le même cas
de figure que pour ma première grossesse, alors, je décidai
de me rendre au centre administratif de l’Assistance
Publique à Paris, pour faire ma demande :
« Mais madame, me répondit-on, vous êtes aide-soignante ; le
mi-temps est réservé aux infirmières. »
Une épreuve supplémentaire, comment allais-je faire ?
Un échec de plus. Je ne me sentais pas bien.
Je décidai de réagir et de passer mon permis de conduire.
Avec deux salaires, il restait possible d’obtenir un prêt
pour acheter une voiture. Pas question de retrimbaler un
tout petit, trop tôt le matin, dans les transports en commun
! Pas question non plus, de recraquer à la reprise du boulot
!
Avant d’être enceinte, j’avais eu une petite hémorragie.
Inquiète, j’avais consulté, fin juillet, une gynécologue
dans un cabinet privé. Elle me fit cette curieuse remarque :
« Je pars en vacances au mois d’août, vous n’êtes pas à un
mois près, revenez me voir en septembre. »
Je pris rendez-vous à la maternité de Port Royal où je fus
mieux accueillie.
Ma grossesse se passa bien. Je n’attendis pas d’avoir une
extrême fatigue pour arrêter mon travail avant mon congé de
maternité.
J’ai porté mon bébé pendant huit mois et demi, donc presqu’à
terme.
Laurent est venu au monde…Laurent ? Au fait…pour mon
deuxième enfant, je voulais une fille ! Mais…dès que je l’ai
vu, il m’a fait un clin d’œil et il m’a embobiné…le
charmeur.
Trois mois après mon accouchement, mes tremblements
reprirent. Ma deuxième grossesse m’avait-elle, elle aussi,
puisé mes sels minéraux ? Avec le Papa de mes enfants, on
décida que je prenne un congé en disponibilité pour une
année, (renouvelable deux fois). Si ce fut dur pour nous,
sur le plan matériel, on y gagna tous les quatre au niveau
de la qualité de notre vie de famille. J’étais entièrement
disponible pour mes enfants, et, c’est avec beaucoup de
gourmandise que je répondais à leurs demandes. Je restais
tout de même vigilante à l’extérieur de chez moi quant à mes
phobies, particulièrement lorsque je conduisais Sylvain à
l’école. Je gardais un mauvais souvenir de ma scolarité et,
je faisais un transfert sur mon fils. Il fallait bien
pourtant qu’il aille à l’école. Encore une fois c’est à
l’aide de comprimés que je parvenais à apaiser mon anxiété
et, donc, à m’accommoder de cette tâche. C’est toujours en
couple que nous faisions nos courses, mais un matin je me
hasardai, seule, dans le marché couvert en bas de mon
immeuble. Au bout de quelques minutes, une peur panique
s’empara de tout mon être. Ce n’était plus seulement mes
membres, mais ma tête et tout mon corps qui tremblaient.
J’eus grande peine à rentrer chez moi et un telle honte
vis-à-vis des gens, que je me promis de ne plus jamais y
retourner. Mon agoraphobie sociale, (tous ces gens que je
prenais pour des géants), semblait faire corps avec une
certaine claustrophobie provoquée par ce marché couvert, où
je me sentais à l’étroit, manquant d’oxygène. Arrivée à la
maison, je m’observai devant une glace. Mes arcades
sourcilières et mes lèvres étaient violacées.
Mon médecin généraliste m’envoya consulter un
neuropsychiatre qui lui, m’orienta vers un psychiatre ; il
me proposa d’entreprendre une psychothérapie.
A la maison ça n’arrangea pas notre budget car je venais de
prolonger ma mise en disponibilité d’une année de plus.
Puisqu’il s’agissait là d’une thérapie où ma guérison
prendrait source par mes prises de conscience, je décidai
d’essayer de lui parler de mon infortune liée à mon père
concernant son vice sexuel.
A cause de cette culpabilité qui me rongeait de ne pas être
parvenue à «avouer» ce lien pervers que j’avais eu avec mon
géniteur, je gardais un blocage envers le médecin.
Puis, un jour :
« Je vais vous dire quelque chose qui est certainement très
rare. »
Et d’une phrase rapide, je lui confessais l’inavouable.
Le psychiatre impassible :
« C’est beaucoup plus fréquent qu’on ne le croit. »
Même avec mon permis de conduire je décidai de prendre ma
dernière année de disponibilité. Je me sentais bien chez moi
et, j’imaginais difficilement que je puisse reprendre mon
activité à l’hôpital Hérold. (Au bout de trois ans de
disponibilité, je démissionnais de l’A.P.)
Je continuais ma psychothérapie, soulagée que ce médecin
soit au courant de mon infortune et, aussi, que je ne sois
pas un cas isolé… hic…A l’époque, dans le langage populaire,
il y avait des mots que l’on ne prononçait pas encore, comme
« Pédophilie ». Dans mon cas, on parlait d’inceste. Ce qui
minimisait la gravité de la situation chez un parent dépravé
qui n’avait, pourtant, pas plus d’excuses qu’un autre
pervers agressant des enfants.
Ceux qui minimisent ce qu’ils appellent l’inceste ne doivent
pas perdre de vue, qu’un petit enfant qui n’a pas une
morphologie apte à subir de telles violences physiques,
(pénétration), se trouve dans une posture semblable à un
adulte écartelé ou supplicié sur une grande roue. |
Le vice de mon père, je ne l’avais jamais avoué à mon mari.
Ce qui me donnait la sensation, par ce secret, d’avoir un
lien avec mon docteur. Il en résulta qu’au bout de quelques
semaines, je bousculai mon analyse en ayant pour lui des
sentiments amoureux. Lorsque je lui en parlai, il ne fut pas
plus étonné que ça :
« Ce n’est pas rare, chez un patient, de faire un transfert
sur son médecin.»
Décidemment…pour lui, tout existait.
Quelques temps plus tard j’interrompis ma psychanalyse faute
d’y trouver des réponses plus concrètes à mes
interrogations, et, faute de moyens financiers.
En 1977 je pris un rendez-vous à la consultation d’une
psychiatre, dans un centre médico-social. Avec elle, je ne
fis pas une thérapie sur la technique de l’analyse
freudienne qui attend, du patient, un quelque chose que je
n’aurais pas su aller chercher. J’avais besoin qu’un
dialogue s’instaure entre cette doctoresse et moi, avec une
présence humaine plus chaleureuse et un soutien médicinal;
même si au fil du temps les prises de conscience étaient le
mot clé pour une guérison, ou, pour une névrose en perte de
vitesse :
Pourquoi cette peur dans telle situation, ou tant d’anxiété
pour tel événement ? Oui pourquoi, à l’âge adulte, continuer
de voir les autres comme si j’étais encore une petite fille
qui se doit de se justifier devant eux ? Au fil de ces
nombreux mois, j’avais dû acquérir un certain discernement
dans mon esprit malade et tourmenté, pour enfin trouver le
chemin de la maturité, aidée par ma doctoresse.
Avec ma psy, je parlais absolument de tout, je ne lui
cachais rien. Ça ne me dérangeait pas si, quelquefois, nos
opinions divergeaient. Quand nous avons déménagé en 1979
pour aller habiter dans la Brie, j’ai continué mon parcours
psychologique auprès de cette femme médecin avec laquelle je
m’entendais bien.
Depuis que nous habitions la campagne, je n’avais pas revu
mon père. Nous recevions fréquemment du courrier, car il
avait quitté son logement de la rue Chénier pour habiter en
province. N’importe quelle province, puisqu’il avait
toujours la bougeotte. Il logeait souvent chez l’habitant.
Mais en 1980 ce n’est pas par lui que j’eus de ses
nouvelles.
De fâcheuses, de très fâcheuses nouvelles. Ce gibier de
potence, avait fait subir des attouchements à une fillette
de dix ans.
C’est une colère frénétique qui s’empara de mon esprit. S’il
s’était trouvé à côté de moi, j’aurais pu le tuer. Je lui
écrivis une lettre de rupture en l’assaillant, par les mots,
de tout mon mépris.
(Il mourut, dans la solitude, d’un problème cardiaque en
1982).
En 1981, un drame me perturba jusqu’au plus profond de
moi-même. Il fut d’une violence inouïe. Ma mère, chez qui on
allait régulièrement déjeuner, cette mère que j’avais
découverte dans ma vie d’adulte, mourut brutalement d’un
cancer foudroyant au pancréas.
Une de mes amies, au courant de presque toutes les
maltraitances que j’avais eu dans mon enfance, ne comprenait
pas pourquoi elle me trouvait maintes fois en train de
pleurer :
« Ecoute Régine, je suis étonnée. Moi, si ma mère m’avait
fait la moitié de ce que la tienne t’a fait, je ne la
pleurerais pas.»
J’essayais de me raisonner en pensant à ce qu’elle m’avait
dit, sans trouver de réponse. Je descendais la pente.
J’avais hâte de voir ma doctoresse pour lui parler de ce que
m’avait dit mon amie, puisque je pleurais toujours avec
aussi peu de retenue.
Je n’avais pas une claire conscience de ma détresse, ma psy
dut venir au devant de moi, car elle avait cette faculté de
comprendre d’où provenait ma souffrance :
« Ecoutez, vous allez expliquer à votre amie : si elle
perdait sa mère, aussi bonne mère soit-elle, elle l’a
pleurerait moins, que vous vous pleurer la vôtre. Je vais
vous expliquer : si vous pleurez votre mère autant, c’est
parce que vous, vous l’avez perdue deux fois. »
J’avais enfin compris. Cela fit « tilt » dans ma tête pour
trouver la fin de l’énigme :
« Et en plus, elle est partie deux fois sans prévenir !! »
Je pouvais commencer mon deuil.
En 1982, c’est Patric qui fit les démarches concernant la
dépouille du Père Betton. Sa dernière volonté était de faire
don de son corps à la recherche médicale. Cela fut refusé à
la faculté de médecine pour cause de début de putréfaction.
Sans quoi, il désirait être incinéré. Mon frère s’occupa de
la crémation, sachant que je ne souhaitais pas en entendre
parler. J’avais récemment expliqué à Jean-Louis « tout » des
vices de cette vieille canaille, et, pourquoi j’avais rompu
avec lui. Patric et Monique, qui avaient obtenu un logement
H.L.M. en région parisienne, à la naissance de Sylvie, ne
regrettèrent pas, quelques années plus tard, leur changement
de vie lorsqu’ils partirent vivre à la montagne.
Pour moi, si j’ai grandi et fait la part des choses dans
certains cas de figure : l’agoraphobie sociale, les géants,
l’école etc., et bien, pour ce que l’on appelle
l’agoraphobie des grands espaces, ces changements de lieux
que la vie peut m’imposer, là, je reste très angoissée.
Au début des années 80, j’avais lu plusieurs livres de
psychologie afin de mieux cerner les pathologies
névrotiques, et j’avais lu, aussi, des autobiographies de
personnes concernées par ces maladies ; ce qui m’a
énormément aidée pour mieux me comprendre et ainsi mieux
m’accepter. Ma psy m’avait dit un jour :
« Ce qu’il y a de bien avec vous, c’est que vous êtes
consciente de vos problèmes. »
C’est vrai que depuis ces dernières années j’avais beaucoup
appris. Avant la fin des années 80, je souhaitais reprendre
une activité. Comme j’aimais faire de la couture, j’ai pensé
qu’il fallait que je me perfectionne en suivant une
formation professionnelle pour adulte. C’est dommage qu’il
m’ait été, seulement, proposé une formation d’opératrice
tous tissus ; un métier difficile, à la chaîne, sur des
machines, où la rentabilité industrielle s’était installée.
A la visite médicale, la toubib que j’avais informée en
toute simplicité de mon état spasmophile, me laissa comme
deux ronds de flan :
« Vous ne pouvez pas faire ce métier, vous n’en êtes pas
capable ! »
Comme pour se justifier de ses propos, mais étant énervée
d’avoir à le faire, sans me regarder en face et adoptant un
air grimaçant, elle enfonça un peu plus le clou :
« De toute façon, les gens comme vous on les ramasse en
brancard !! » J’avais de la haine et du mépris pour cette
bonne femme qui me rabaissait plus bas que terre.
Quand j’avais appris tout ça à ma doctoresse, elle fut
indignée :
« Mais ce n’est pas possible un comportement comme ça !
C’est quoi ? Une sorte de médecin nazi !? »
Tout au long de ces années moralement douloureuses, je n’ai
pas été à l’abri de nombreux symptômes de maladies plus ou
moins difficiles à diagnostiquer. Si à l’adolescence puis
étant jeune femme j’ai, par intermittence, souffert de
problèmes génito-urinaires, ils furent trop pris à la légère
par le corps médical :
« Vous êtes une hypernerveuse, me disait-on, apprenez donc à
vous détendre. »
Dans un premier temps ce n’est pas de cette façon que je
suis allée mieux.
Plus tard, peu de temps avant que je sois enceinte, un
médecin m’avait dit:
« C’est certainement hormonal ce que vous avez ; ça passera
sûrement quand vous aurez eu des enfants. »
C’est exactement ce qui arriva. Au quatrième mois de ma
première grossesse, mes ennuis disparurent pour ne
réapparaître que quelques semaines après mon accouchement,
accompagnés, hélas…de ma tremblote. Lors de ma deuxième
grossesse, ce fut à l’identique pour mes ennuis
génito-urinaires qui s’évanouirent lorsque je fus enceinte
de quatre mois, mais…cette fois ci, pour ne plus revenir.
En contrepartie, mes tremblements, eux, avaient décuplés.
A la fin des années 80, des douleurs lancinantes me vinrent
dans le bas ventre. J’avais consulté plusieurs spécialistes
sans que les symptômes ne définissent la cause de mes
douleurs. Je souffrais, recroquevillée sur mon lit, en
position fœtale, tout en me crispant. Il aura fallu de
nombreux mois avant que l’on découvre l’origine de mes
douleurs : une endométriose, (maladie de la muqueuse qui
tapisse l’utérus).
Après un long traitement médicamenteux sans résultat, je dus
être opérée d’une hystérectomie (ablation de l’utérus).
Mais, comme je suis trop têtue pour que les choses
s’arrangent d’elles même, je n’allais toujours pas bien! Je
dois dire, malgré tout, que mon pauvre cerveau avait eu
largement le temps, de se donner la peine, d’enregistrer ma
douleur physique afin que je la garde en mémoire.
Je restais donc avec cette douleur, au grand dam de mon
chirurgien, qui s’arrachait les cheveux. Jusqu’au jour où…à
la télévision, je vis un reportage concernant un hôpital
dont l’un de ses services traitait la douleur. Si j’avais
déjà fréquenté un centre antidouleur, et cela sans résultat,
c’était avant mon opération. Je pris donc un rendez-vous
dans cet hôpital qui, il me semblait, pouvait avoir la
méthode qui me corresponde. Et ce fut pour le meilleur.
Pour mon premier rendez-vous, la consultation eu lieu avec
le chef de service. Ce médecin me dirigea vers une
doctoresse spécialisée pour une thérapie me correspondant.
Avec elle, je me suis tout de suite sentie en confiance.
C’était inévitable, elle me faisait penser à ma précédente
doctoresse. Si elles avaient chacune une branche médicale
différente, c’était les branches d’un même arbre, leurs
solidités étaient identiques. Ces deux femmes avaient la
même passion de leur métier leur apportant le même potentiel
d’énergie, avec une grande réceptivité envers leurs
patients.
Avec elle, j’ai appris à contrôler ma douleur et à la faire,
presque, disparaître. Au fil des séances, je réussis à bien
maîtriser cette pratique de la respiration et de la
relaxation. Ce fut un long travail.
Je pris conscience que le cerveau humain avait cette
capacité d’aider le corps à se gérer, mais, en y intégrant
une certaine discipline.
Si parfois je souffrais, malgré tout ce que j’avais acquis,
cela tenait à des passages difficiles s’immisçant dans ma
vie. Mais je remontais au front. Ce qui faisait dire à ma
doctoresse :
« Vous avez cette faculté de rebondir. »
A l’heure actuelle je continue, le plus possible, de
rebondir dès que des éléments extérieurs négatifs obstruent
mon cheminement.
Même si mes projets personnels, (mes bébés, comme on dit),
n’ont pas encore abouti, je reste confiante. Ah, à propos
des bébés ! J’en ai vu naître deux…mes petits enfants.
J’ai retrouvé ce plaisir d’aimer les jours de grand soleil,
alors qu’avec mon agoraphobie, ne pouvant plus m’exposer, je
préférais le mauvais temps qui me permettait de me
dissimuler sous d’amples vêtements.
Maintenant, j’accepte que ma spasmophilie m’ait laissé
quelques petits symptômes, (spasmes musculaires des membres
supérieurs et des paupières).
Si dans ma vie d’adulte j’ai fait quelques mauvais choix, ou
que je me suis desservie en ratant deux ou trois trains,
c’est parce qu’il m’a fallu attendre l’âge très mature pour
réussir à faire de bons discernements.
Cette lente évolution de ma destinée je la dois, en partie,
à ma forme d’intelligence secondaire qui m’apporte un
raisonnement lent mais profitable, car plus profond.
Une forme d’intelligence « tortue »…Quoi ! |
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