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Printemps 55, cap au sud
Maman est très malade… c’est Papa qui le
dit ! Elle est entrée à la clinique Victor Hugo à Paris pour
être opérée du ventre, maintenant elle va mieux… ça, c’est
le docteur qui l’a dit à Papa.
Notre chère Mémère est venue rue Chénier à la fin du mois de
mars, pour nous garder, jusqu’à mon départ pour Nice sur la
Côte d’Azur. Pourtant je ne suis pas aussi malade que Maman
et, cependant, Papa me conduit à « Gai-Soleil », un home
pour petits enfants de trois à six ans, réservé seulement
aux gosses qui ont mauvaise mine. Vu que mon père me trouve
« extrêmement pâlotte », il a l’intention de m’y laisser
trois mois !
C’est beau la Côte d’Azur ! J’adore les palmiers ; il y en a
de différentes grandeurs et ils poussent ici, dans un grand
jardin tapissé de belles pelouses vertes sillonnées de
petites allées. Un jardin où nous les enfants avons le droit
de jouer, aussi, sur le gazon.
Nous sommes tous en effervescence en ce dimanche de Pâques
car les cloches sont passées dans ce magnifique lieu pour le
parsemer de chocolats, puisque nous avons tous été à peu
près sages. Quelle chance qu’il fasse beau ! Je suis
impatiente de trouver ma friandise : un gros œuf ? Une
cloche ? Ou quoi d’autre ? Oui, ça y est ! Je l’ai trouvé
mon chocolat, près d’un petit palmier :
« Mais c’est quoi ça… un poisson ? Non…un crocodile ! »
Je m’exclame, puis je suis inquiète et pensive. N’ai-je pas
été assez sage, pour tomber sur cette bestiole ?!
Heureusement qu’il est enveloppé, car dans son papier
transparent, je ne crains rien. Je ne suis pas pressé de
manger cet animal là ! Et pourtant… les autres enfants se
délectent de leur trouvaille. Je m’assieds sur la pelouse en
tenant mon crocodile par la queue. Je suis à la fois triste
et honteuse d’avoir peur de cette petite bête en chocolat,
pourtant, je n’arrive pas à me raisonner. Je m’apprête à
l’abandonner derrière le palmier où je l’ai trouvé, mais …
une dame du centre me propose de m’aider en défaisant son
emballage. On dirait qu’elle devine mon trouble :
« Veux tu que je t’aide à en casser un petit morceau afin
que cela soit plus facile pour toi ? »
C’est bien volontiers que je m’empresse de lui tendre mon
cadeau de Pâques, en lui proposant qu’elle en morcelle la
tête…
Je peux l’apprécier maintenant à sa juste valeur.
Après avoir quitté la clinique, ma mère, qui adore la Côte
d’Azur, est arrivée en maison de repos pour un mois à
Bandol. Elle en profite pour venir voir « sa fille ». Je
suis heureuse de me retrouver avec ma Maman pour faire une
longue balade sur la plage et quelques photos. Il y a un âne
à Gai-Soleil, alors, Maman obtient la permission de me
photographier grimpée sur son dos.
Pendant que je suis à Nice, ma mère à Bandol, mon frère qui
devait être aussi « extrêmement palot » se retrouve, lui, à
Hendaye au Pays basque, dans un établissement héliomarin de
la Ville de Paris. Quant à mon père qui adore prendre des
bains de boue, et ça tombe bien, puisqu’il est plein de
rhumatismes, est en cure à Dax dans les Landes, et, il en
profite pour aller voir son fils à Hendaye.
Ma parole ! C’est eux qui vont creuser le trou de la sécu…
Eté 55, à l’ouest de Paris
C’est l’été, retour rue Chénier ; enfin
… en ce qui me concerne je ne fais que passer… juste
quelques jours, le temps que mes parents rendent visite à la
famille de Papa, pour leur montrer que j’ai bonne mine
depuis que je suis revenue de Nice. Puis, je repars.
Je vais où Papa me pousse…avec la bénédiction de Maman.
Destination : une ferme de Condé sur Huisne, en Basse
Normandie.
La fermière a une grande fille et nous sommes trois
nourrissons venant des écoles de Paris. C’est dommage que
mon frère ne soit pas avec moi, il passe ses vacances chez
ses parrain et marraine. C’est moche ici, il y a plein de
boue et il n’y a même pas de pelouses !
En tout cas, Papa ne m’oublie pas… Maman, si ! Vu qu’elle ne
l’accompagne pas lorsqu’il vient me voir au mois d’août.
Pourtant j’aurais préféré sa présence à elle ; elle est
tellement plus calme que lui, finalement… peut être trop. Et
puis, il a fait une fixation sur ma chevelure et cela a dû
le tarauder, puisqu’il me conduit encore chez le coiffeur.
Je ressors avec une coupe presque au dessus des oreilles !
Et ma frange, coupée à la chien, bien trop haute sur le
front ! J’ose à peine me regarder dans la glace ! Je suis en
colère contre ce coiffeur, qui a bien vu que j’avais déjà
les cheveux courts en arrivant dans sa boutique !
Avant de repartir pour Paris, mon père m’achète une paire de
bottes en caoutchouc, pour, dit-il, que « j’affronte » le
long chemin rocailleux et boueux qui longe la ferme. Là,
d’accord ! |
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